Charles Le Borgne

L'attaque du Saint-Antoine de Padoue

Le « Saint-Antoine-de-Padoue ».
 
Le nom de Saint-Antoine-de-Padoue est assez commun dans la flotte de commerce française ; il est plusieurs navires de ce nom qui, au cours de la guerre sous-marine de 1914-1918, eurent à faire face aux sous-marins ennemis.
 
Aucun, en tout cas, n'eut la chance de leur homonyme fécampois, qui se tira toujours avec bonheur de ces rencontres peu désirables.
 
Construit à Saint-Malo en 1895 pour M. Tranquille Monnier, de Fécamp, ce petit navire avait été vendu par la suite à M. Charles Le Borgne, de la même ville, dont les bureaux étaient à Paris, 8, rue La Boétie, mais dont le siège d'exploitation se trouvait en Seine-Inférieure.

 


 
Cette maison possédait deux voiliers terre-neuvas : Saint-Ansberg et Saint-Antoine-de-Padoue; ce dernier, maté en trois-mâts-goélette, fut mis aux transports de charbon au cours de la guerre, et fut un des premiers à recevoir un canon de petit calibre destiné à la défense surtout.
 
Sorti de Fécamp en avril 1917 et naviguant de conserve avec un autre caboteur, le capitaine Richard, du Saint-Antoine-de-Padoue, bien que distancé par son compagnon au cours de la nuit précédente, le revit au petit jour, sous le Bill de Portland, au matin du 24 avril.  
 
Il était attaqué par un grand sous-marin allemand en surface, sur lequel M. Richard gouverna sans hésiter et qu'il commença à canonner à deux milles de distance. Cette attaque, à laquelle il ne s'attendait sans doute pas, décida le commandant allemand à ordonner la plongée ; désireux sans doute de ne pas attirer sur lui toutes les vedettes de la côte et les patrouilleurs du large, il préféra abandonner un adversaire si peu redoutable, mais dont l'intervention avait néanmoins sauvé l'autre voilier.
 
Chargé rapidement à Briton Ferry, le capitaine du Saint-Antoine-de-Padoue avait descendu sans encombre le canal de Bristol, longeant la terre le plus près possible, et se trouvait le 8 mai suivant à l'ouvert de la grande baie de Saint-Yves, cherchant à doubler Land's End pour donner danslaManche.C'est alors qu'il aperçut à petite distance un sous-marin en surface que d'autres voiliers, louvoyant comme lui, ne pouvaient sans doute pas apercevoir, et sur lequel il tira aussitôt, voulant ainsi alerter surtout ses voisins pour les faire se disperser.

 

L'ennemi, qui n'avait pas grand-chose à craindre à cette distance, mais qui se savait à portée des batteries côtières qui allaient pouvoir le repérer, plongea aussitôt sans riposter.
 
Le navire continua ces voyages dangereux entre tous, et se trouvait à nouveau en route pour Fécamp, chargé de charbon, à 6 milles dans l'ouest de l'île Lundy (qui marque la sortie du canal de Bristol, à la hauteur de la ligne qui joint Milford Haven à Hartland Point) dans la nuit du 22 août 1917.  
 
Il faisait presque calme, et le navire gouvernait à peine, par une obscurité profonde qui ne permettait même pas de distinguer sous le vent la noirceur de la terre, pourtant élevée. Une rafale de mitrailleuse, puis une autre, très espacées, et enfin des sifflements d'obus révélèrent qu'un sous-marin avait repéré le voilier et se trouvait très proche, puisque ses balles portaient.  
 
Laissant arriver sur l'île Lundy, d'accès malsain, dont il pensait que son ennemi se garderait soigneusement, le capitaine fit tirer au jugé sur la lueur des bouches à feu de son adversaire qui, craignant de s'échouer ou d'être atteint gravement à si courte distance, cessa le combat.
 
Le voyage se continua sans incidents, puis d'autres se firent normalement ; entre-temps, un second canon de 47 mm avait été ajouté à la première pièce du Saint-Antoine-de-Padoue et il semblait, disait-on, que ce supplément d'artillerie effrayait sans doute les sous-marins, puisqu'il n'était plus attaqué.
 
Ce répit ne devait pas être de longue durée ; dans la matinée du 5 décembre 1917, le navire, se trouvant à 15 milles dans le N.-N.-E. de l'île Ronde des Sorlingues, fut attaqué au canon par un sous-marin, à peine émergé, qui venait d'apparaître à moins de 400 m dans l'ouest. Le capitaine Richard riposta aussitôt ; ses obus encadrèrent son adversaire, qui se mit en plongée pour recommencer le combat plus loin dans des conditions excellentes pour lui, car il pouvait tenir le voilier sous son feu, tout en restant hors de portée.  
 
Pendant près d'une heure et demie, littéralement arrosé d'obus dont les éclats criblaient le pont et blessèrent gravement un homme, le petit navire se défendit vaillamment, empêchant son ennemi d'approcher. Un hydravion, attiré par le bruit, arriva heureusement sur les lieux et sa seule venue mit fin à ce combat inégal qui se serait mal terminé à la longue ; déposant son blessé grave sur un patrouilleur, le capitaine Richard doubla le Lizard dansla soirée. Bien que les instructions des sémaphores lui aient prescrit de relâcher à Falmouth, il préféra faire route pour Fécamp, les vents se trouvant favorables, et son navire faisant un peu d'eau à la suite du combat soutenu avec le sous-marin allemand.

 

Il arriva d'ailleurs à destination quelques heures plus tard, sans nouveaux incidents, et dut comparaître encore devant la commission d'enquête, dont les membres appréciaient parfois en terriens les événements de mer.
 
Le rapport établi, en ce qui concerne le Saint-Antoine-de-Padoue, précise d'abord que c'est « grâce à une chance persistante » et à l'énergie de ses hommes que le bâtiment a dû son salut, et que, « prise dans son ensemble », l'énergique défense de ce bateau est à mettre à l'honneur et ses auteurs à féliciter. Puis il se livre, comme dans beaucoup d'autres cas analogues, à des considérations qui ne furent pas toujours du goût des intéressés, lesquels ne se gênèrent pas pour le montrer, et le public marin les approuva sans réserve.  
 
Il estimait qu'il ne convenait pas d'amoindrir, sous le couvert de « remarques », des actions de ce genre, et on critiquait surtout cette phrase du compte rendu de la commission : « On ne peut exiger évidemment des caboteurs ce que l'on demande à bord des bâtiments de l'Etat ; néanmoins, la guerre sous-marine nécessite une prévoyance, dont l'absence risquerait de rendre inutile « l'appoint » de vertus militaires, comme celles de l'équipage du Saint-Antoine-de-Padoue ! »
 
II était dit aussi que le capitaine, en manœuvrant en zigzag, alors que la brise était faible, avait contrevenu à l'article 30 des « Instructions aux bâtiments de commerce ». Or cet article était assez vague en ce qui concerne les voiliers, et le navire, ayant deux mâts goélettes, ne pouvait embarder beaucoup sans empanner. Quant au bénéfice de la justesse de tir, que la route brisée était susceptible de faire perdre aux pointeurs, le capitaine faisait observer que cette objection était sans valeur, car il combattait à 7 000 m, tandis que ses pièces portaient au maximum à 5 000 m. Son but ne pouvait être que de chercher à faire un tir de barrage efficace pour empêcher l'ennemi de se rapprocher, et non d'essayer d'atteindre un point déterminé. Celui-ci n'aurait pu être qu'un endroit quelconque de la mer, puisque tous les projectiles devaient tomber dans l'eau.  
 
Parmi les différentes remarques faites, on notait également que le capitaine, s'il avait approfondi davantage les instructions officielles, aurait mieux analysé un ennemi resté en surface longtemps et aurait pu fournir ainsi d'utiles renseignements.  
 
Les signataires oubliaient que le sous-marin était à 7 000 m de distance, à peine visible, que M. Richard n'avait pas de longue-vue spéciale à cet effet et qu'obligé d'aider à servir les pièces avec si peu de monde à bord il avait autre chose à faire que de relever des profils, etc
 
Tiré du livre "Les derniers voiliers caboteurs français" de L. LACROIX.

 

 



01/08/2011
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